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Du TFA, le plus répandu des PFAS, détecté dans des bouteilles de vin à des niveaux record
Le plus petit des polluants éternels a été décelé dans des bouteilles de vins européens à des concentrations très élevées, d’après des analyses conduites par le réseau d’associations Pesticide Action Network. L’usage des pesticides fluorés est fortement soupçonné d’en être la cause.
Par Stéphane Mandard et Stéphane Foucart
Le TFA (acide trifluoroacétique), le plus répandu des polluants éternels, ne contamine pas seulement l’eau du robinet des Européens ; il est aussi présent dans le vin, et à des taux très supérieurs. Les principaux suspects sont les pesticides à base de substances per- et polyfluoroalkylées (PFAS), dont les molécules actives se dégradent en TFA. Plus préoccupant encore, depuis les années 2000, les concentrations de TFA augmentent dans le vin à un rythme galopant, selon une progression qui suit jusqu’à présent une courbe qui a tous les traits d’une exponentielle. Tels sont les principaux enseignements d’analyses rendues publiques, mercredi 23 avril, par le réseau d’associations Pesticide Action Network (PAN) Europe.
Dans la cinquantaine de bouteilles testées – des vins rouges, blancs et rosés de dix pays de l’Union européenne (UE) –, tous les millésimes postérieurs à 1988 contiennent du TFA, tandis qu’aucun des millésimes antérieurs (1972, 1979 et 1982) n’en porte de traces détectables. De 1988 à 2015, les taux de concentration croissent de 13 microgrammes par litre (µg/l) à 40 µg/l. L’augmentation est ensuite très marquée : les 39 millésimes de 2021 à 2024 de l’échantillon affichent une moyenne de 122 µg/l.
Se hisse à la première place du podium une bouteille de blanc autrichien, à 320 µg/l. Deux vins rouges français – sur cinq testés – affichent des taux au-dessus de la moyenne, avec respectivement 140 μg/l et 220 μg/l. Des niveaux plus de deux fois supérieurs à ceux qui sont identifiés dans la seule étude commanditée par la Commission européenne sur le sujet et qui montrait une concentration moyenne de 50 μg/l, avec un pic à 120 μg/l dans 27 vins testés en 2017.
Ces concentrations surpassent très largement les niveaux retrouvés jusqu’ici dans l’eau potable. Les mesures les plus récentes, publiées en mars par l’agence régionale de santé d’Occitanie, portent sur 32 communes réparties autour d’une rivière, le Gardon, en aval de l’usine Solvay de Salindres (Gard), qui produisait du TFA jusqu’en septembre 2024. Les teneurs s’y échelonnent entre 0,4 µg/l et 37 µg/l. Les niveaux record retrouvés dans le vin présentent-ils un risque ? Les seuils tolérés dans l’eau potable divergent fortement au sein de l’UE : la France et l’Allemagne ont fixé une valeur sanitaire à 60 µg/l, tandis que les Pays-Bas estiment qu’il est préférable de ne pas dépasser 2,2 µg/l. Longtemps présenté par les industriels comme un métabolite inoffensif, le TFA fait désormais l’objet d’une proposition de classification comme probablement toxique pour la reproduction.
« Résultats attendus et choquants »
« Ces résultats sont certainement préoccupants pour les buveurs de vin, même si la plupart d’entre eux ne boivent pas de vin tous les jours », commente Ian Cousins, professeur de chimie environnementale à l’université de Stockholm et auteur de plusieurs travaux de référence sur le TFA. « Ils sont à la fois attendus et choquants, estime son confrère de l’Université norvégienne de science et de technologie Hans Peter Arp. Ils sont cohérents avec ce que la communauté scientifique sait sur l’augmentation alarmante des concentrations de TFA dans toutes les matrices qu’il est possible de mesurer : l’eau de boisson, les carottes de glace arctiques, l’eau de pluie, les feuilles d’arbre, les jus et l’alimentation végétale. »
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Le plus petit des polluants éternels a également été retrouvé dans de la bière, mais à des taux bien inférieurs : de l’ordre de 6 µg/l, selon une étude publiée en 2021 dans la revue bimensuelle britannique Food Chemistry à partir de l’analyse d’une centaine d’échantillons d’une vingtaine de pays. Le TFA a également été identifié dans des jus d’orange. Le laboratoire d’analyse Eurofins a publié en septembre 2024 une étude qui révélait des concentrations élevées dans des jus industriels. Avec une teneur moyenne de 34 µg/l, elles restent aussi bien en deçà des niveaux mis en évidence dans le vin.
Les causes de la contamination globale au TFA sont diverses : certains gaz réfrigérants fluorés, la production industrielle de PFAS à diverses fins (médicaments, etc.), mais aussi les pesticides fluorés épandus sur les cultures. La fin des années 1980, note le rapport, coïncide avec le développement de gaz fluorés destinés à remplacer les chlorofluorocarbures, destructeurs de la couche d’ozone, mais aussi avec la mise sur le marché des premiers pesticides fluorés.
Selon le rapport de PAN Europe, « les vins présentant des concentrations de TFA plus élevées contenaient également un nombre et une quantité plus importants de résidus de pesticides de synthèse ». Un indice selon lequel ces pesticides sont les principaux suspects. Autre indicateur : sur les 18 bouteilles autrichiennes testées, les deux issues de cépages résistant aux attaques de champignons, sans traitements fongicides, avaient les taux de contamination les plus faibles. Par ailleurs, les cinq vins biologiques testés présentent des concentrations souvent plus faibles, de l’ordre de 40 µg/l pour un vin français.
Appel à l’interdiction
« Ces résultats fournissent des preuves supplémentaires que les pesticides peuvent être une source majeure de contamination des terres agricoles, aux côtés des autres sources », confirme M. Arp, qui coordonne un projet de recherche européen destiné à réduire les émissions de polluants persistants. Cependant, l’échantillon testé par PAN Europe est trop limité pour savoir si les vins biologiques contiennent en moyenne moins de TFA que les vins conventionnels. Pour M. Arp, ces travaux ont une valeur exploratoire et devraient être étendus pour donner une idée plus précise de l’ensemble des sources de contamination.
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Pour PAN Europe, ces résultats suffisent néanmoins pour agir. Les associations du réseau rappellent que le TFA ne se dégrade pas dans la nature et que chaque molécule qui y est introduite s’accumule dans l’environnement. « Nous demandons l’interdiction immédiate des 31 pesticides PFAS actuellement autorisés en Europe, et qui représentent 15 % des tonnages de pesticides épandus à l’échelle du continent, dit François Veillerette, porte-parole et cofondateur de l’association Générations futures, qui a participé à ces travaux. Il faut également lancer un programme de surveillance du TFA dans l’alimentation et pousser les régulateurs à faire preuve de plus de prudence, malgré les incertitudes : les signaux d’alerte sont déjà là. »
Stéphane Mandard et Stéphane Foucart