Rentrée des classes
Lundi, l'école reprend pour les élèves de grande section de maternelle et de CP...
Ce sont les niveaux dans lesquels j'ai exercé pendant plus d'une vingtaine d'années et j'ai été directeur d'une école de 8 classes.
Autant dire que j'imagine aisément la situation dans laquelle les enseignants d'aujourd'hui vont se trouver et l'état d'esprit dans lequel ils sont ce week-end...
Sur la toile, le mari d'une de ces enseignantes, directrice d'école désemparée, témoigne et s'adresse au chef de guerre :
Monsieur le Président,
Hier soir, mon épouse a craqué. Et ses larmes n’ont pas réussi à apaiser la tempête qui bouillonne en elle.
Ma femme est Professeur des Ecoles et Directrice de son école primaire rurale de 8 classes.
Depuis le 13 mars, elle s’applique chaque jour, avec ses collègues, à assurer un suivi pédagogique de qualité, bravant les difficultés techniques, sociales, psychologiques de ses élèves, par un enseignement à distance qui s’est révélé particulièrement efficace, les témoignages des parents se multipliant pour le prouver jour après jour.
Elle n’a ménagé ni son énergie, ni sa conscience professionnelle.
Même s’il lui est arrivé de s’énerver, parfois, de fulminer, souvent, contre une gestion de la crise sanitaire qui lui semblait, comme à la grande majorité des citoyens de ce pays, relever plutôt de la navigation à vue, elle ne s’est jamais départie de l’enthousiasme et de la motivation qui font le sel de l’engagement de tous les professeurs de ce pays.
Et pourtant, hier soir, elle a craqué.
Depuis votre annonce de la réouverture des écoles le lundi 11 mai, elle ne vit plus. La charge et la responsabilité qui lui incombent de mettre en place le plan de réouverture des écoles sont trop lourdes pour elle, et pour les milliers de Directrices et Directeurs qui ne savent pas comment faire.
Les services du Ministère de l’Education Nationale ont mis en place, édité et diffusé un protocole de 58 pages visant à organiser le retour des élèves dans les écoles.
L’avez-vous lu ?
S’y succèdent une myriade de recommandations obligatoires toutes aussi stupides les unes que les autres, irréalisables dans un milieu tel qu’une école. Les technocrates qui ont réfléchi à ce protocole n’ont visiblement aucune idée de ce qu’est une école.
Les enfants n’auront pas le droit de s’approcher à moins d’un mètre les uns des autres, interdiction des jeux de ballons ou collectifs dans la cour de récréation, interdiction de se prêter du matériel, obligation de se laver les mains continuellement, suppression de tout le matériel collectif dans la classe …
Qui pourrait croire un seul instant à la fable que vous nous avez servie lors de votre intervention télévisée : notre objectif est de combattre les inégalités sociales et de permettre aux élèves les plus en difficulté de terminer l’année scolaire dans de bonnes conditions ?
L’un des magnifiques objectifs de l’école est de permettre la socialisation des enfants, de leur faire rencontrer la coopération, l’entraide, la solidarité. C’est de cela dont ont le plus besoin les enfants issus des milieux défavorisés. Et de rien d’autre. C’est cet objectif qui doit faire d’eux des citoyens responsables dans une République apaisée et solidaire.
Et, puisque vous avez choisi de faire reposer cette reprise sur une base de volontariat, qui vous dit, Monsieur le Président, que ce sont justement ces enfants en difficulté qui vont effectivement reprendre le chemin de l’école ce mardi 12 mai ? Je pense pour ma part, et je sais que cela se vérifiera rapidement, que justement ces enfants là ne reviendront pas à l’école.
Hier soir, ma femme a craqué.
Pas à cause d’une fatigue accumulée, pas à cause de la tension et du stress engendrés par les ordres, les contre-ordres, les revirements et les hésitations de sa hiérarchie, et par le manque de considération dont celle-ci fait preuve habituellement. Si on connaît un tant soit peu le fonctionnement de l’Education Nationale, on sait qu’il s’agit là d’un fonctionnement normal.
Elle a craqué parce qu’elle a honte.
Elle a honte de ce qu’elle va devoir faire dès ce mardi.
Honte d’imposer à des enfants des conditions indignes de la Déclaration universelle des Droits de l’Enfant que l’on célébrait ces derniers jours.
Honte d’imposer à ces enfants l’image d’une société incapable de leur garantir un minimum de bien-être au sein de ce qui n’est plus un sanctuaire.
Honte de devoir leur offrir en guise d’école des conditions carcérales et traumatisantes.
Honte de faire partie de ce système où l’on préfère sacrifier la sécurité psychologique des enfants à un retour au travail de leurs parents.
Elle a craqué, et moi, j’ai peur.
J’ai peur pour sa santé mentale et celle des ses milliers de collègues qui ressentent aujourd’hui les mêmes angoisses.
Vous portez, monsieur le Président, l’entière responsabilité de cette situation délétère. Beaucoup de ces enseignants ne sortiront pas indemnes des choix que vous avez faits. Et c’est votre conscience d’être humain qui devra faire avec.
Je vous souhaite bien du courage, Monsieur le Président.