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28 Jun

« Debout, debout, debout ! »

Publié par Éric Babaud  - Catégories :  #Humeur

 

 

 

C'est à lire dans "Reporterre" le média de l'écologie.

« Debout, debout, debout ! »

Soutenant Les Soulèvements de la Terre, ce « mouvement vital », l’écrivain Alain Damasio appelle à « monter en puissance ». Une mutation essentielle, selon lui, dans cette « période préfasciste ».

Alain Damasio est écrivain de science-fiction. Son dernier roman, Les Furtifs, a été publié en avril 2019 aux éditions La Volte.

Reporterre — Alain Damasio, faites-vous partie des Soulèvements de la Terre ?

Alain Damasio — « Comment ne pas en faire partie ? » serait la vraie question, tant ce mouvement est vital à tous points de vue et touche à deux enjeux essentiels de l’époque : faire que terre et eau restent des biens communs, disponibles à tous. La dissolution ne doit pas provoquer une dissolitude. Elle doit appeler au contraire à un immense rassemblement de nos forces vives.

Lire aussi : Descola, Damasio, Tondelier… 20 personnalités soutiennent Les Soulèvements de la Terre

Comment prendre le relais des personnes aujourd’hui réprimées ?

En faisant honneur à leur combat, qui est le nôtre. En ne cessant de créer : des actions, des récits, des livres, de nouvelles organisations avec d’autres noms et d’autres slogans, plus forts et plus fins encore, en inventant des événements qui échappent aux pouvoirs et les devancent, en densifiant les alliances et les tissages sur le terrain. Et en n’oubliant pas que l’on n’a pas trouvé mieux pour fusionner les luttes, notamment sociales et écologiques, que de les inscrire dans un lieu et un temps communs, donc dans des territoires qui fassent sens et qu’on se réapproprie, dans des zones qu’on va libérer, dans des forêts, des squats, des friches ou des bocages où l’on saura être heureux autrement.

 

Quelle stratégie le mouvement écologiste devrait-il adopter pour survivre à cette dissolution ?

Déjà, il faudrait mettre un pluriel à la question tant la réussite d’une lutte, à mon sens, relève d’abord de la diversité des stratégies qu’elle est capable de mobiliser, d’entretisser et d’enchaîner, chacune déclinée en tactiques, plans, ruses, techniques, attaques ou frasques, d’autant plus efficaces qu’elles sont inattendues.

Face à un pouvoir en mode préfasciste, qui réprime la moindre expression divergente, qui cherche à écraser sous sa chimie libérale tout ce qui pousse, j’ai la sensation qu’il faudrait suivre, avec humour et profondeur, le conseil de Bruce Lee, dont le mantra ultime de l’art martial était « Be water, my friends, be water… » ("soyez comme l’eau, mes amis, soyez l’eau").

« Il faut se jeter à l’eau en passant à travers les gouttes »

À savoir, rester souple et fluide, mobile sur ses appuis, frapper et fuir, esquiver la frontalité où police et armée auront toujours l’avantage, glisser entre les doigts du pouvoir. Se jeter à l’eau en passant à travers les gouttes. Ne jamais se rêver citerne qui stocke : plutôt envier celles qui sont nées de la dernière pluie.

L’eau est de toutes les matières celle qui autorise le plus de changements d’état, elle devrait inspirer nos pratiques. Par exemple, une forme de devenir-brume ou d’identité-brouillard face à tous les dispositifs de surveillance et de tracking policier des militances. Une diffusion en delta des imaginaires désirables, par des récits amples, fluviaux, ramifiés. Des actions qui soient des averses, des draches, des trombes intempestives et d’autres qui soient des moussons qu’on attend avec joie, à l’image des saisons des Soulèvements. Des hommes-gourdes, des femmes-bouteilles, des enfants-torrents, des stratégies-rivières et des nuages de données pour épauler nos recherches, des archipels de luttes qui soient des lacs écossais et des combats juridiques glace contre glace, sous les décrets iceberg.

Pour Alain Damasio, il faut être des « hommes-gourdes » ou des « femmes-bouteilles ». Voire des « hommes-oiseaux », comme le sont Les Naturalistes des terres ? © Les Naturalistes des terres

Pour Alain Damasio, il faut être des « hommes-gourdes » ou des « femmes-bouteilles ». Voire des « hommes-oiseaux », comme le sont Les Naturalistes des terres ? © Les Naturalistes des terres

C’est moins de la poésie qu’une attitude à avoir, à trouver, un éthos qui ne se satisfait plus des longs fleuves de manif, qui cherche des modes d’action plus inventifs et plus viscéralement reliés au vivant.

Un mouvement comme les Beaver Believers en Amérique du Nord, qui commence à essaimer en France, fait par exemple de l’alliance avec le peuple castor, avec sa faculté à construire des barrages et à retenir l’eau sans la bloquer, une voie intelligente pour que l’eau ne file plus directement à la mer mais imbibe et nourrisse, tout au long de nos rivières, non seulement la ripisylve mais tous les écosystèmes. Moins de sécheresse, moins d’incendies et moins d’inondations en résultent.

« Nous sommes le vivant qui tisse et qui bruisse »

Il faut évidemment continuer et intensifier la lutte contre tout ce qui nous coupe de nos sols, à commencer par les autoroutes, parkings ou tarmacs et tous ceux qui veulent nous voler notre eau vitale et commune, qui est le nouvel or. Toutefois, on doit tout autant et déjà penser la lutte écologique hors du strictement humain, en synergie profonde avec les autres vivants et surtout en alliance concrète avec eux. Chaque lutte qui articule naturellement cette double dimension me semble féconde.

Les Soulèvements de la Terre sont et resteront un mouvement extraordinaire, précisément parce qu’ils ont anticipé dès le début une dissolution possible en devenant nébuleuse et constellation plutôt que soleil central. Il n’y a pas de survie en jeu : ce que Les Soulèvements ont inventé, tissé et fait vivre est déjà puissamment opérant dans une myriade d’autres mouvements et pratiques, qui ne vont cesser de pousser. Il faut penser cette pluralité comme un maquis. Quand tout brûle, le ciste repousse d’abord puis émerge le myrte, le romarin, le lentisque, la bruyère… Chaque buisson, chaque plante, chaque réseau de mycélium va aider les autres à pousser.

Je vois Les Soulèvements comme une forme de photosynthèse pour notre maquis écologique. On peut même parier que cette dissolution va faire entrer Les Soulèvements au rang de mouvement-culte. Le logo va devenir viral. Un blason.

Quatre médias indépendants, à l’initiative de Reporterre, ont organisé en avril dernier une soirée en soutien aux Soulèvements de la Terre. Alain Damasio s’y est exprimé. © NnoMan Cadoret / Reporterre

Quatre médias indépendants, à l’initiative de Reporterre, ont organisé en avril dernier une soirée en soutien aux Soulèvements de la Terre. Alain Damasio s’y est exprimé. © NnoMan Cadoret / Reporterre

Les écologistes doivent-ils devenir des « furtifs », ces personnages clandestins, insaisissables et en symbiose avec leur environnement que vous décrivez dans votre dernier roman ?
 
Quand on a la vérité, éthique, scientifique et spirituelle de notre côté, ce que je crois, nous n’avons pas à nous cacher. Nous sommes le vivant qui tisse et qui bruisse, et qui simplement se défend.

Ce sont nos « décideurs » qui ne sont rien d’autre que des « biocideurs » qui devraient se cacher. Dans l’attitude d’un Macron, d’un Trump, d’un Bolsonaro ou d’un Darmanin, ce qui me frappe, c’est l’obscénité. C’est-à-dire l’assomption scénique d’un viol continu du vivant au profit du capitalisme le plus brutal.

Si l’on peut revendiquer une furtivité, ce serait celle qui cherche à s’immerger, à se fondre dans le champ du vivant, dans son milieu, avec une forme de grâce affine. Atteindre cette zone d’indistinction, d’indiscernabilité avec le végétal, la fonge ou l’animal que Deleuze appelait un devenir. Tout le contraire de l’exploitation et de l’obscénité : l’alliance, l’alliage ou la fusion, redoublés par les égards ajustés entre espèces et entre règnes que suggère Morizot.

Alain Damasio : « Si l’on peut revendiquer une furtivité, ce serait celle qui cherche à s’immerger, à se fondre dans le champ du vivant. » Ici, les officiants du « rite bâtisseur » à la zad de Notre-Dame-des-Landes, en janvier 2020. © Yves Monteil / Reporterre

Alain Damasio : « Si l’on peut revendiquer une furtivité, ce serait celle qui cherche à s’immerger, à se fondre dans le champ du vivant. » Ici, les officiants du « rite bâtisseur » à la zad de Notre-Dame-des-Landes, en janvier 2020. © Yves Monteil / Reporterre

À mes yeux, protection, sauvegarde ou patrimonialisation du vivant sont de fausses pistes, qui font « au-dessus » au lieu de faire avec et parmi. La furtive est celle qui compose sans cesse avec ce qui l’entoure, le métabolise en elle et à travers elle. L’écologiste devrait viser à être aussi vivant que ce qu’il défend.



Comment maintenir la flamme de la lutte face à la dérive autoritaire du gouvernement ?

Je pense qu’il faut cesser d’adopter une attitude mélancolique ou victimaire face aux brutalités du gouvernement. Nous sommes entrés en France de plain-pied dans une période préfasciste, qui a éclaté au grand jour avec la réforme des retraites, qui vole deux ans d’existence à chaque actif déjà entré dans le troisième âge, et qui se crépite en continu, pour qui veut voir, dans une myriade de « faits divers », d’oukases gouvernementaux et de petits évènements ignobles et racistes que la macronie laisse puruler, de l’incendie de la maison d’un maire qui voulait simplement ouvrir un centre d’accueil aux canots de migrants qu’on laisse se noyer par centaines dans une bruyante jubilation, en passant par la libido déchaînée d’une police qu’aucune hiérarchie ne vient plus cadrer et qui nous apprend à chaque manifestation le vrai sens du mot « violence ».

Alain Damasio (ici, en 2019) : « Pour un écrivain, tout ça fait signe et sens. Et ne doit pas appeler la peur, les pleurnicheries ou la fuite, mais le combat. » © Mathieu Génon / Reporterre

Alain Damasio (ici, en 2019) : « Pour un écrivain, tout ça fait signe et sens. Et ne doit pas appeler la peur, les pleurnicheries ou la fuite, mais le combat. » © Mathieu Génon / Reporterre

Quand manifester n’est plus en France un droit acquis, quand un éditeur en sciences sociales est bloqué à la frontière britannique, quand un mouvement non violent est requalifié en mouvement terroriste, il ne faut plus se voiler la face.

Pour un écrivain, tout ça fait signe et sens. Et ne doit pas appeler la peur, les pleurnicheries ou la fuite, mais le combat.

« Il nous faut rester debout sur tous les fronts »

Ce n’est même plus qu’on ne nous écoute plus, c’est qu’on prend un immense plaisir à nous dominer, à écraser nos mâchoires, nos gueules qui s’ouvrent et nos voix. Cet affect-là est propre au fascisme. Il est lisible dans l’attitude des BRAV-M, très explicitement, et il n’a rien de neuf — ce qui est neuf est qu’on lui laisse toute liberté d’expansion dans une République dont l’architecture démocratique devrait la contenir. Encore faudrait-il que l’unique corps intermédiaire que le pouvoir écoute encore soit autre chose que les lobbies et le patronat, Medef et FNSEA en tête.

Lire aussi : Comment la FNSEA a eu la peau des Soulèvements de la Terre

La « dérive autoritaire » ? Ce sont encore des mots doux qui valorisent presque ceux qu’ils désignent. On est en démocrature, point barre, une espèce de zone interstitielle, interlope, entre l’ancienne démocratie qu’on n’a pas pu ou su défendre et la dictature qu’autorise en réalité la monarchie présidentielle de la Ve République.

Il va nous falloir monter en puissance, en masse et en courage, sous peine de se faire laminer. Tout est en place pour que le Rassemblement national, qui a déjà l’institution policière pour lui, à 70 %, impose sa loi.

« Les Soulèvements resteront le phare de la politique vitale qui vient »

Il nous faut rester debout sur tous les fronts : l’action directe, l’activisme social, écologique et anticapitaliste, la lutte syndicale soutenue, les batailles juridiques pied à pied, la guerre des imaginaires et des récits dans le champ de l’art et des médias, et même le vote, qu’on a trop déserté : debout, debout, debout ! Rien que s’asseoir suffira à nous coucher.

La dissolution des Soulèvements de la Terre est un point de bascule. L’atermoiement et l’obéissance aux lois ne sont plus des solutions stratégiques viables, en macronie, si l’on veut arrêter le massacre — social et écologique. C’est la leçon évidente à en tirer.

Et une dernière chose : la violence ou la non-violence ne sont plus le critère pour décider de la pertinence d’une lutte. Le seul critère est : cette action favorise-t-elle le vivant en nous, autour de nous, hors de nous et à travers nous ? Tout ce qui contribue à polluer, assassiner, blesser, dévitaliser ou écocider le vivant mérite qu’on s’y oppose, très concrètement. Il s’agit de désarmer ceux qui tuent.

Il faut sortir du faux débat que cherchent à nous imposer médias et pouvoirs, et qui s’appuie sur une conception tristement bourgeoise de la vie désirable qui place confort et sécurité au rang d’absolus. Cette conception nous détruira en détruisant ce qui nous fait respirer.

Notre noblesse est de sortir par le haut en remettant le critère du vivant au centre des enjeux. Et le vivant, c’est déjà la terre et l’eau. C’est pour ça que Les Soulèvements resteront le phare de la politique vitale qui vient.

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